Perrine Le Querrec

Bacon le cannibale
Hippocampe éditions, 2018

Photo de Bacon
Assiette utilisée comme palette par Francis Bacon ©The Estate of Francis Bacon
Entrez dans la boucherie, à ses murs les déjections les éclaboussures au plafond les crochets les carcasses, aux mains l’outil à la toile la sciure. Il pèse la viande la suspend, il la découpe la goûte y plante ses yeux y plonge ses mains y crache ce mélange de sang et de vie qui coule dans ses veines. Tripes écrasées sous ses pieds le soleil cogne perce des tranchées comme des lames dans les poitrines les cuisses les cous il les décapite. La chambre froide incendiée en coulées irrépressibles du sang jusqu’aux genoux, la main essuie le visage sur la toile se déforme s’étire s’incarne à l’esse du pinceau.
L’abattoir obscène la vie obscène l’atelier devenu la scène où créer le monde intranquille.
Feuille arrachée d'un livre
Détritus – Feuille arrachée d’un livre relié ©Francis Bacon MB Art Foundation
L'image est dotée de pouvoir
L’animal est doté de pouvoir
Le cadavre est doté de pouvoir
Le débris est doté de pouvoir
La tête scotchée la tête cachée la tête coupée le bras en avant l’épaule pointée le corps fracassé le buste contorsionné le muscle torve le corps démantelé le corps méconnaissable le corps intensité
vaudou

À la question « Quel écrivain vous a influencé ? », je répondrais sans hésiter : Francis Bacon. S’il n’est pas écrivain, il a toujours été une source essentielle d’inspiration et un guide : jamais je n’écrirais « d’histoires », mais je chercherais à écrire une langue, un langage, qui s’adresserait au corps, à la sensation, au système nerveux, une langue la plus vivante possible, la plus incarnée. Source de mémoire, d’émotion, de poésie, l’archive tient une place primordiale dans la construction de mon écriture. Ainsi, pour rendre hommage à Francis Bacon, peintre qui utilisait les archives, les photographies, toutes les images en leur durée, leur dégradation, leur surface et leur profondeur, j’ai travaillé à partir et avec ses propres archives, ses portraits, ses objets. Conservées par un amoureux de Bacon, ces archives donnaient corps à ma passion. Ardente filature à travers le geste et la matière, je tente une étude pour un portrait de l’artiste, par l’archive et la poésie, je m’approche au plus près d’une création flamboyante et déchirante, solitaire et universelle.

Photographie de la rencontre
Le Bacon Book Club : lecture et rencontre
C'était le 24 octobre au Centre Pompidou