EMMANUEL ARAGON

5 têtes
Des crânes marqués
Yeux d’orbites effleurées
Enfoncées au pouce
Au creux
Façade comble
La bouche suturée de lettres, une fontanelle frappée
Mâchoire allongée la pente douce du mot
La terre brille muette en vagues rumeurs enfouies à fleur d’os
Crânes entaillés entamés
Cuits et recuits, passent par la main,
- le feu ne ment pas -
Des crânes être et ne pas être
C’est de son vivant qu’il a percé la peau qu’il a inscrit les mots
C’est à sa mort la peau détachée qu’ils apparaissent les mots du vivant le testament inosé
Désossé
Ouvrir en deux, extraire l’intérieur du crâne, le refermer sur une caresse
La lobotomie allège la position du chef, le haut du corps n’est pas encore poussière

Sous un fragile linceul de plastique
D’autres en attente

Ma tête en attente du mot cru, du mot craint
Rien à craindre
Les outils aiguisés prennent place

Chambre d’échos, à l’origine pas de la chair
Les outils rangés les crayons taillés au soleil
Le rouge monte au mur
Les traits marée de sang
Claque, rebrousse le temps
Ainsi le mot haut, le mot geste envahit recouvre
Un trait après l’autre, un trait sur l’autre, ils dansent s’agglutinent s’agglomèrent et le corps entier danse au son de la craie frappe le mur de papier
Rouge craie dure laisse ces cendres de sang sur le sol
Poussière de chair
Mot desquamé
Quand l’acarien ronge ta tête
De haut en bas le corps monte redescend la ligne écrite
Un mot, deux mots
Ou 700 forment une liste maladroite en prise à l’apesanteur

J’entends toujours la pointe
Creuser le sillon du papier, de la terre du bois du sens au contresens
Allez allez le son est mouvement le mot est mouvement
Découpe des sens
Debout dans le soleil
Les yeux bien fermés si tu lèves la tête il y a une Reine au plafond
Si tu t’assois à la place de l’enfant il y a des pieds chantournés le corps déposé sur le cannage carnage sage, tressé, et sous la pile de papier cristal papier peau papier blanc
La transparence des saignées
Mots noirs mots blancs des idées à la force du doigt
Dans la poussière des mémoires
Où affleure l’obsession de l’écart
En s’élevant les muets élèvent la vision
La mine noire glisse et heurte, se reprend percute son support à deux mains incise troue répare

La forme déformée
A la lettre
Le corps au combat
Les pieds sur terre les mains s’agitent
Dans les verbes les adverbes
Les fragments les élans les absences
Reliefs pervertis à la puissance du trait

C’est un front de guerre
C’est au front qu’il part qu’il faut s’engager s’emmêler se mêler
Cette guerre inachevée

La lumière se réfugie dans une bouteille d’eau pleine
La lumière dessine des barreaux
Là où il n’y a rien
Les mots dessinent des traverses
Là où il n’y avait plus rien

Il me désigne un grand rouleau blanc dressé
Mais à l’intérieur la chorégraphie de la langue, crois-moi, elle est là, si je déroute déroule, si je t’enroule tu seras dans les mots
Entrez dans la danse
Voyez comme on panse
L’écrit l’écriture torture intérieure
Mes yeux des blancs crochetés
Aux visions assaillies
Les troupeaux et les hordes
Les essaims et les assassins
Les bourreaux et les ordres
On écrit vite quand on écrit grand ?
On écrit grand quand on écrit vite ?
On vite grand ?
On vit comment en grand on enferme qui dans quel mot on t’a enfermé et quel mot t’a délivré et la lumière ne cesse sa crue l’aveuglement aveugle le mot de parler quel bourdonnement sur les papiers les tables le bois dans la terre docile se laisse crever comme les yeux
On s’attache dans tant de silence on ne s’entend plus quand des lettres rouges disent noir sur blanc, on n’entend plus que la main dans la rumeur remuante de la langue
Territoires du non-dit non-écrit une chaise est renversée à l’à-pic d’une armoire, quelle lutte au sommet
Le bras de fer pour tenir toujours dire toujours écrire
Crayon dans le poing serré, que veux-tu ? des mots en voilà. Du relief en voilà.
Des viscères
Des colères
Des fuites
Détonations
Des replis
Des sentences
Des potences
Des étendues
Des étendards
Des secrets
Des confidences
Tout est là
A l’approche si tu l’oses entrer dedans plus près plus proche

Chair-obscur du dos de l’armoire
Ce grand bloc de ténèbres
Silence
Au dos de la famille plaquée au mur
Invisible
Le fond est gravé tout entier mâché
Fracas des mutiques
Si tu ne parles pas mon langage
Parle avec ta main

Dans le rectangle de l’atelier lire tête en l’air en bas en biais
C’est l’extérieur qui coupe ton monde
Concentré
Concentrique
Explicite
À qui sait saisir la main mine
Langue tranchée Cou coupé parlent toujours
Le débat entre toi et toi
Toi et eux

À l’atelier
6 janvier 2016

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