ANTONIN ARTAUD

Antonin Artaud part en croisade : lettres, poèmes, dessins, cris et sorts lancés à la face du monde. Littérature, art, théâtre, cinéma, nul domaine n’est épargné par le verbe et la geste convulsif cet homme habité, visionnaire, défiant sans cesse les normes pour proposer de nouvelles théories. Jusqu’à passer une belle partie de sa vie interné. « Ensorcelé ». Frappé de malédictions : celles de la société, prompte à remiser ceux qui risqueraient de renverser sa réalité, et celles de ses démons intérieurs.
L’œuvre protéiforme dont l’exposition de la BnF rend compte se traverse comme une mer agitée. Une violente tempête que le public affronte debout sur le pont, fermement accroché au bastingage de sa lucidité.
De la première salle des portraits et autoportraits au crayon, grands formats nerveux, visages torturés, « revers créateur de l’enfermement et de la folie », alternant avec des miroirs nous renvoyant à notre reflet, au dernier miroir, en fond de couloir-itinéraire où s’inscrit en lettres chancelantes qui s’effacent sous les couches de verre : « Je tombe, je tombe, mais je n’ai pas peur », le parcours est à haut risque. Celui de se frotter au génie. Celui d’un rapprochement avec une pensée tourmentée, une création cannibale, une voix plus puissante que toutes les autres.
« Quittez les cavernes de l’être. Venez. L’esprit souffle en dehors de l’esprit. » On a envie de tout noter, de ne rien oublier, de rapporter cette parole partout où l’on ira ensuite. Pour le moment, on suit les phrases imprimées sur les murs, qui se brisent sur les angles, s’enfoncent dans le sol, nous mènent de la salle Cinéma à celle du Théâtre, puis vers les Écrits.
C’est le couloir blanc serti de vitrines aux Cahiers (Artaud en écrira 406 « en captivité ») qui reçoit le visiteur avant de le lancer vers une nouvelle aventure, vers une autre salle. Barbarie, désordre, fulgurances, l’œuvre d’Artaud assassine les lieux communs, la bienséance, l’hypocrisie, la mollesse, la platitude, les convenances. À coups de marteau sur la page, Artaud écrivait et scandait sa parole. À coup de marteau il impose sa pensée, ses philosophies, ses déformations personnelles de la réalité. Les pages de ses cahiers en sont trouées. Les lobes de votre cerveau franchement aérés.
Artaud condamne un monde qui se refuse à écouter les différences, qui, à force d’électrochocs (réels ou virtuels) brisent les personnalités les plus sensibles. Que dirait-il aujourd’hui de cette époque atrocement conventionnelle et inculte, gavée de bouillie à la lobectomie ? Rien de bon. Sans doute nous maudirait-il « … rez-de-chaussée, plaie de ma langue (…) », avant de repartir libérer ses obsessions métaphysiques et esthétiques.
Que nous appréhendons, à travers ses papiers, dessinés ou écrits. À travers ses portraits, à la mine ou à la craie, cinématographique ou théâtral. Par sa voix à la tessiture aléatoire, restituée dans sa communication radiophonique de 1947 : Pour en finir avec le jugement de Dieu. Par la parole des autres aussi, amis, artistes, éditeurs, ceux qui ont osés, ceux qui l’ont aimé (incroyable document d’Anaïs Nin, qui ouvre le parcours et de sa voix douce nous conte ses moments avec « l’être douloureux »).
Sommes-nous enfin prêt à recevoir cette Œuvre ?
« Car ce n’est pas pour ce monde ci,
ce n’est jamais pour cette terre-ci que nous avons tous toujours travaillé,
lutté,
bramé d’horreur, de faim, de misère, de haine, de scandale, et de dégoût,
que nous fûmes tous empoisonnés,
bien que par elle nous ayons tous été envoutés,
et que nous nous sommes enfin suicidés,
car ne sommes-nous pas tous comme le pauvre Van Gogh lui-même, des suicidés de la société ! »

Antonin Artaud
Bibliothèque Nationale de France
Quai François Mauriac
jusqu’au 4 février 2007