On commence par les paysages, landscapes, connus inconnus, les inquiétudes du grand dehors, interdit parce que dépasser la frontière de l’enceinte familiale est un acte de désobéissance.
Des paysages désobéissance.
Qui pourrais-tu y croiser ? L’étranger, le danger, le sexe peut-être.
Puis, s’approcher de la femme. Questions d’identité, de structure, c’est quoi, c’est qui ?
La femme ses courbes sa chevelure son sexe ses cuisses et là, j’entre, je m’appuie dessus, je strie, un trait, deux traits, mille traits ; je recommence, j’encapuche le visage, je voile-dévoile, je raye le sexe, je le fais fleurir, l’ensemence ; je déplace. En dessins. Traits noirs sur fond ivoire.
Tandis que la photographie revient, un focus, une composition, tronçon d’arbre, végétation amputée, détails écorcés, presque un moignon de bras.
Avant de s’éloigner. De quelques pas. Comme dans l’enfance, s’éloigner pour explorer l’inconnu, là où ça fait peur. Attirance des limites.
Le modèle entier. La femme entière. La chair entière. Contrainte. À mon ordre, à mes yeux, à mes pieds. Corps assis, plié, tombé, couché, tourné, agenouillé, têtes baissées. Têtes au pluriel. Baisse ta tête. Ne la relève pas. Pendant que je te regarde et que tu redeviens toi, femme et chair, (dé)limitées.
Quand soudain le crayon rapplique, l’encre de nouveau s’infiltre et d’un bord à l’autre, - Vénus/Versus - passe et repasse sur le modèle, protection et perversité, pudeur et passion, la main n’a aucun poids. Malgré tout, la tendresse d’une ligne remplit le corps et l’âme, elle trace son histoire, les lignes manifestent le geste, mouvement et geste se superposent à l’immobilité de la forme photographique.
Forme que je vais découper.
J’en prends un morceau. Un morceau de choix. Je choisis. Je détoure. Je décompose. Et compose une nouvelle partition. Joue ma musique. Ma mécanique du corps. Puis je colle, efface au blanc. Le corps disparaît, mirage évanescent. J’arme le stylo. Délimite un mouvement, un espace. Cerné. Haché. La forme se démembre, elle est un commencement, et une fin. Elle est à part entière, une part entière ; ce minuscule devient un évènement, une histoire détachée, elle vit, se plie à mes désirs.
Bientôt il n’y a plus que la forme. Le corps ? N’existe plus. Il existait auparavant, pour céder son mouvement, sa sensualité, pour ébaucher, créer ma cartographie. Des formes bouches, anthropophages, se plient se déplient, se bouclent, copulent, s’engendrent, traits noir, céphalopodes, volumes de papier, interrogations, identités épileptiques.
Corpsouvertrecouvertdécouvert
Corpsouvrirrecouvrirdécouvrir
Creux plis saillances débordements. Traits bondage, ficellent un fragment pour mieux l’offrir. Le plaisir de naître est tout entier contenu dans l’appendice réinventé. Le plaisir et la douleur. La lutte et l’abandon.
À chaque tour de ficelle d’encre, je brise une convention, un postulat, une habitude de regard. L’œil-mémoire s’égare, pénètre clandestinement une nouvelle anatomie, du détail surgit l’ensemble.
Anatomie de l’image, anatomie de l’intime, anatomie des vertiges.
Visite à Cécilia Jauniau
4 mai 2012