CÉCILIA JAUNIAU

On commence par les paysages, landscapes, connus inconnus, les inquiétudes du grand dehors, interdit parce que dépasser la frontière de l’enceinte familiale est un acte de désobéissance.
Des paysages désobéissance.
Qui pourrais-tu y croiser ? L’étranger, le danger, le sexe peut-être.
Puis, s’approcher de la femme. Questions d’identité, de structure, c’est quoi, c’est qui ?
La femme ses courbes sa chevelure son sexe ses cuisses et là, j’entre, je m’appuie dessus, je strie, un trait, deux traits, mille traits ; je recommence, j’encapuche le visage, je voile-dévoile, je raye le sexe, je le fais fleurir, l’ensemence ; je déplace. En dessins. Traits noirs sur fond ivoire.
Tandis que la photographie revient, un focus, une composition, tronçon d’arbre, végétation amputée, détails écorcés, presque un moignon de bras.
Avant de s’éloigner. De quelques pas. Comme dans l’enfance, s’éloigner pour explorer l’inconnu, là où ça fait peur. Attirance des limites.
Le modèle entier. La femme entière. La chair entière. Contrainte. À mon ordre, à mes yeux, à mes pieds. Corps assis, plié, tombé, couché, tourné, agenouillé, têtes baissées. Têtes au pluriel. Baisse ta tête. Ne la relève pas. Pendant que je te regarde et que tu redeviens toi, femme et chair, (dé)limitées.
Quand soudain le crayon rapplique, l’encre de nouveau s’infiltre et d’un bord à l’autre, - Vénus/Versus - passe et repasse sur le modèle, protection et perversité, pudeur et passion, la main n’a aucun poids. Malgré tout, la tendresse d’une ligne remplit le corps et l’âme, elle trace son histoire, les lignes manifestent le geste, mouvement et geste se superposent à l’immobilité de la forme photographique.
Forme que je vais découper.
J’en prends un morceau. Un morceau de choix. Je choisis. Je détoure. Je décompose. Et compose une nouvelle partition. Joue ma musique. Ma mécanique du corps. Puis je colle, efface au blanc. Le corps disparaît, mirage évanescent. J’arme le stylo. Délimite un mouvement, un espace. Cerné. Haché. La forme se démembre, elle est un commencement, et une fin. Elle est à part entière, une part entière ; ce minuscule devient un évènement, une histoire détachée, elle vit, se plie à mes désirs.
Bientôt il n’y a plus que la forme. Le corps ? N’existe plus. Il existait auparavant, pour céder son mouvement, sa sensualité, pour ébaucher, créer ma cartographie. Des formes bouches, anthropophages, se plient se déplient, se bouclent, copulent, s’engendrent, traits noir, céphalopodes, volumes de papier, interrogations, identités épileptiques.
Corpsouvertrecouvertdécouvert
Corpsouvrirrecouvrirdécouvrir
Creux plis saillances débordements. Traits bondage, ficellent un fragment pour mieux l’offrir. Le plaisir de naître est tout entier contenu dans l’appendice réinventé. Le plaisir et la douleur. La lutte et l’abandon.
À chaque tour de ficelle d’encre, je brise une convention, un postulat, une habitude de regard. L’œil-mémoire s’égare, pénètre clandestinement une nouvelle anatomie, du détail surgit l’ensemble.
Anatomie de l’image, anatomie de l’intime, anatomie des vertiges.

Visite à Cécilia Jauniau
4 mai 2012

&

L'ORIGINE DU MONDE

Je me passe de vous, avez-vous peur de moi ?

Je veux
Mon propre désir
Montrer démontrer
Luxure chasteté
Je suis
Votre propre fantasme
La sorcière la cible
L’objet la putain
Je veux
La puissance le pouvoir
Conquérir apparaître

Face-à-face, voyeurs et voyante.

Je veux
Rien n’est stable, l’histoire de l’art déroule ses mythes mais la femme devant et derrière l’objectif redistribue pouvoir et contre-pouvoir. Tendue, résistante et désirante elle se joue des excès et des codes, corrompt la raison.
Elle attire et tient à distance. Elle offre et succombe. Les bras manquent le corps tient. Les mots flanchent le corps est.
Haute et magnifique, embusquée sous ses cheveux elle débride la langue. Exposée aux regards, aux désirs, toute puissante, elle connait le secret, possède le droit d’assouvir et de conquérir son corps d’utopie.

Je suis
Pas Bellmer, pas Araki, ni Molinier, une femme à genoux jambes ouvertes cuisses ficelées devant une autre femme. Quel désir appuie ici, nait se répand, dérange et interroge ? On ne regarde pas pour s’encanailler se palucher se rincer l’œil. Ce qu’ils voudraient c’est un visage sans passé un corps attaché mais que ce soit eux qui nouent les liens.
La décharge électrique a le goût de la liberté et de la révolte.
Au point de voir l’absolu de la chair.

Je veux
Une expérience des limites délimitée par le triangle des orifices la courbe du modèle l’angle de la pièce l’objectif de la photographe.
Les membres lacés épellent un alphabet de la chair, l’espèce humaine parle, le corps souffle gémit dit, grand ouvert revenu à lui. Il tend un miroir d’Eros où le précipité féminin dans sa magie solitaire entraîne notre raison et bouleverse une vision du sexe imposée par le pouvoir. Une vision raisonnée.

Figure mentale et sensible, la femme de Cécilia Jauniau atteint l’état de figure totale, composant dans l’équilibre du langage artistique et du langage de l’intention le montage symbolique de la sexualité et de l’identité.

Cécilia Jauniau
MS, 2013

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