ERIC POUGEAU
1968-1974
Ces dates sont gravées dans le marbre noir de l’urne funéraire qui clôt l’exposition. L’artiste n’a pas 5 ans, il n’est pas réellement mort, mais sa vie a sans doute basculé à ce moment.
Chaque pièce de l’exposition d’Eric Pougeau va ainsi creuser lentement, par petits mots, phrases courtes et écriture d’écolier, un sillon profond et douloureux vers une enfance massacrée, où coupables et victimes fusionnent pour mieux s’entretuer.
Une œuvre qui s’appréhende comme autant de fragments de mémoire, de l’enfant mort en 1974, et qui depuis copie ses lignes : « J’ai peur, je veux être la peur », « Mon dieu, faites que mes parents meurent », et ses conjugaisons : « je me mutile, tu te mutiles, il se mutile… » . Prend connaissance des petits mots d’amour laissés par ses parents : « Mes chéris, quand papa et maman mourront, vous serez seuls, puis vous mourrez aussi. À ce soir. Maman. »
Jusqu’aux objets créés par l’artiste, dont aucun n’a d’utilité dans ce monde déviant - les fourches sont doubles, les règles d’école sont taillées en pointes acérées -, mais tous redoublent de danger et d’anormalité. Ils blessent doublement, par le père, par la mère.
Conscrits dans les petits formats quadrillés de la page d’écolier, ou proprement gravés sur les marbres funéraires (un mot à la fois : « Salope », « Hasshole »), la douleur et le malaise se répandent et déferlent, traçant une vie entière de traumatismes.
Une œuvre qui touche à l’universel, aux excès multiples d’une cellule familiale qui jamais ne remplit ses fonctions, mais massacre consciencieusement et systématiquement l’enfant, piétine l’innocence, gorge les pages de son sang, arrache des cris muets, multiplie punitions et vexations.
« J’ai peur, je veux être la peur »
Eric Pougeau
Galerie Alain le Gaillard
19, rue Mazarine
75006 Paris
jusqu'au 14 avril 2007