MÂKHI XENAKIS

LES FOLLES D'ENFER DE LA SALPÊTRIÈRE

Sur scène, deux femmes, un homme. Trois voix pour rendre compte de l’enfermement de milliers de femmes à la Salpêtrière, de 1656, date où Louis XIV crée cet « hôpital général » à 1848, lorsque Charcot pénètrera dans cet enfer.
Trois corps pour incarner ces mortes entassées durant deux siècles.

C’est pendant qu’elle travaille à une installation de ses sculptures pour la chapelle de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière que Mâkhi Xenakis s’immerge dans les archives de l’Assistance Publique : elle en exhume des manuscrits totalement inédits, « une accumulation d’histoires qui raconte, à travers plusieurs siècles, les destins brisés et le quotidien de ces indésirables. »
Le texte de la plasticienne est ainsi, une accumulation de mots, ces mots dont elle connait la puissance, ceux qui dénoncent, proposent l’enfermement, estiment la liberté, des souffles sans ponctuation, des listes de sévices, des listes de prénoms, des chocs de visions, de traitements, des déconstructions barbares de personnalités.

Sur le plateau de la scène, Anne Dimitriadis rejoint le souhait de l’auteure : « respecterne rien inventerne retranscrireque ce qui est écrit ».
Ce qui est écrit, la plainte des enfermées, toutes celles dont la société ne supporte pas la vue : « les filles de joie les folles les orphelines les libertines les protestantes les paralytiques les crétines les juives les impies les criminelles les ivrognes les mourantes les sorcières les mélancoliques les aveugles les adultérines les homosexuelles les épileptiques les voleuses les magiciennes les convulsionnaires les séniles les dépravées les intrigantes les suicidaires les filles gâtées les bohémiennes les filles grosses »
Les listes ne cessent de s’allonger : jusqu’à 8000 femmes seront internées ensemble, brisées, à 6 par lit, tout âge et pathologie confondus, toute identité reniée. C’est l’effacement total du soi, l’oubli, la violence, les traitements inhumains, les tortures, les hontes, les maladies, les viols. C’est une réalité dont les auteurs donnent conscience à mots murmurés, dans les prénoms ressuscités, dans les actions retranscrites, dans les amendements qui peinent à insuffler un peu d’humanité dans ce cloaque intemporel.
« À la liberté près, rien ne leur manque » : parole d’homme, l’un de ces nombreux hommes bourreaux et complices, avant que n’apparaissent ceux qui lentement sépareront les femmes selon leur âge, leur symptômes, interdiront les tortures, briseront les chaînes, boulets et anneaux de fers qui les retiennent, écouteront la maladie, la penseront curable, ne séquestreront plus sans fin, sans but, sans raison.
La peur alors cessera d’être un agent thérapeutique, ces femmes alors cesseront de représenter un danger pour le bien-être de la société.
L’humanité commence là, dans les dortoirs et les salles communes de la Salpêtrière, et chacun de nous a à apprendre de ces folles d’enfer.

Les folles d'enfer de la Salpêtrière
Mâkhi Xenakis, Anne Dimitriadis
jusqu'au 26 juin 2007
MC93 Bobigny
1, boulevard Lénine
93000 Bobigny