Perrine Le Querrec

La ritournelle
Lunatique, 2017

Le père se proposa d’extraire du couloir de l’entrée quelques caisses afin de faciliter et Eugen lui demanda de quelles caisses il voulait parler et le père dit par exemple les dix premières celles qui bloquent la porte et Eugen demanda de quelle porte il voulait parler et le père répondit sans aucun doute la porte d’entrée et Eugen questionna de quelle entrée il était question et le père dit celle qui mène au-dehors alors Eugen répliqua n’est-ce pas plutôt une porte de sortie qu’il faudrait dire et le père le lui accorda donc Eugen conclut en proposant pour sa part d’avaler le trousseau de clés. Le père soupira, s’esquiva. Sa façon d’entrer ! Sa façon de ressortir ! Eugen ne manquait jamais d’admiration pour cet homme si souvent entré ! si souvent sorti ! et rentré ! et ressorti ! revenu ! reparti ! et encore ! et toujours ! Eugen laisse choir le trousseau vers le sommet simple bascule entre le couloir et la pièce centrale puis la très lente marche vers la chambre jusqu’au cagibi. Après une petite modification, après quelques modifications supplémentaires, après un petit ajout, Eugen satisfait il a consolidé la terre, orienté les rayons du soleil vers le fauteuil où il s’endort face au vent.

Dessin de Samuel Buckman
© Samuel Buckman

Nous avons un homme qui s’appelle enroulé – enfoui – enseveli jusqu’au menton. Nous avons Eugen. Nous avons des habits des portes et des fenêtres, nous avons des serrures et des clés des télés et des ordinateurs nous avons des assiettes des verres des lampes des bougies des livres et des cigares nous avons des machines et du cuir un état et un métier un gouvernement et des chaussettes des savonnettes une vocation, nous avons un discours et des boutons des bœufs et des disques nous avons une couverture et des œufs de scarabée un estomac et un frigo un chien et un cercueil. Nous avons un jeune homme capable de trouver un bonheur entier et parfait dans la poubelle du voisin. Nous avons l’usure d’éprouver le besoin de tout garder. Nous avons un résumé de nous. Il a le fauteuil avec la meilleure vue.

Photographie de Richard Pak
© Richard Pak
Photographie de Geoff Johnson
© Geoff Johnson

Le territoire cède progressivement peu importe à quelle vitesse simplement il sent assis au fond du fauteuil qu’à chaque respiration l’air chaud du monde se réconcilie avec lui, dans l’ivresse il se terre la main immobile respire grandement largement il peut encore caser tant d’air entre ses objets sa construction se dilate, peu le savent peu le voient peu le croient peu lui importe, il ne cherche aucun public aucun encouragement c’est une œuvre très solitaire l’œuvre d’un Darger d’un Bartlett d’un orphelin dont on saura tout après la mort Que chacun s’en tienne à ce qui lui appartient et dans une inaliénable appartenance voilà la devise d’Eugen devisant langue rentrée mâchoires serrées les mots passent au compte-goutte (...)