Perrine Le Querrec
Le plancher
La Contre Allée, 2024
Ronces et chiendents terminent leur course dans la maison. Le plancher parfois disjoint se soulève sous la poussée des racines et l’abondance des rejets verts et or. Les pieds des chaises, de la table, du bahut, disparaissent dans la végétation. D’autres espèces, mutantes, couronnent des tas d’ordures fertiles.
Autour de cet environnement sauvage se dressent les quatre murs de la pièce austère. Quelques ancêtres dans un cadre de bois ovale y sont accrochés, et aussi Joséphine et Alexandre le jour de leur mariage, - rigidité verticale, visages fermés - puis, alignés, Paule communiante, Simone communiante, Jeannot communiant. L’histoire s’arrête là. Au-dessus de chacun d’eux, l’étoile fissurée de l’impact du clou.
Enfant sauvage
Jeannot le benjamin
ne trouve pas de papier pour écrire l’urgence. Les murs de la ferme paternelle sont trop blancs, trop hauts ; les murs enferment une famille qui n’existe plus. Jeannot renverse les tiroirs, déblaie les étagères, retourne les lits, arrache le plâtre, pas un papier, c’est une famille où il n’y a jamais rien eu à dire, pas une feuille, c’est un enfer qu’on porte mais qu’on ne prononce pas ; Jeannot tombe à genoux sur le plancher, Jeannot s’allonge bras en croix sur le bois, Jeannot prononce ses vœux, front collé à maman, maman enterrée sous le plancher, emplanchée, elle lui glisse à l’oreille les mots et il répète, murmure, litane, et Paule tourne autour de Jeannot, autour des deux corps l’un sur l’autre, l’un mort, c’est maman, l’autre vivant, c’est son frère, l’un cadavre, c’est la mère, l’autre fantôme, c’est Jeannot. Paule ne peut entrer, pousse Jeannot du bout du pied, de plus en plus fort, ce long corps inerte qui murmure la bouche pleine de plancher, elle le pousse, le brutalise, frappe comme dans un animal mort, lui crie de se relever :
- ça suffit Jeannot ! ça suffit !
Mais Jeannot se lie, vœux sacrés, mission divine et maternelle. Pas un papier dans la maison, la peau de maman sous le plancher.

Jeannot je ne l'ai jamais abandonné, il ne m'a jamais abandonnée.
Merci aux trois maisons qui nous ont permis de survivre dans ce monde dérangé.
C’est la porte des condamnés à mort
C’est l’épitaphe du tombeau
C’est l’endroit où vivre, l’envers où mourir
C’est la communication détraquée, la rupture, les discordances
C’est une aberration
C’est une correction
C’est la chair du signe, l’allégresse de la signature
C’est le dernier rempart
C’est le testament du forcené